Bernay, rue Thiers

La rue Thiers à Bernay un dimanche après-midi. Il n'y a personne dans la rue, car le principal attrait de cette rue, ce sont les commerces, presque tous rassemblés là.
Dans le fond, le clocher de l'église Sainte-Croix dont la construction a été interminable, puisqu'elle a commencé en 1374 et ne s'est achevée que dans les années 1880.
A première vue, c'est une rue commerçante comme une autre, mais en réalité, elle recèle des trésors d'architecture médiévale, malheureusement bien trop souvent à l'abri derrière des crépis modernes ou des enseignes lumineuses, et en tout cas, relégués au second plan par l'attrait des vitrines.
Ce que je voudrais montrer aujourd'hui n'est pas sur cette photo, c'est juste derrière moi.
Voilà, il s'agit d'une maison fort ancienne, construite selon la technique des bois courts, à encorbellement, c'est à dire que les étages, lorsqu'il y en a plusieurs, sont décalés les uns par rapport aux autres, ceux du dessus faisant saillie au dessus de la rue.
Les avantages liés à cette techniques sont principalement la manière de débiter le bois, dans lequel il y a moins de perte, et la limitation du ruissellement des eaux, car, si vous ne le savez pas, en Normandie, il arrive qu'il pleuve.
Le commerçant qui occupe le rez de chaussée de cette bâtisse a été bien avisé de ne placer aucune enseigne tapageuse sur cette admirable façade et de se contenter d'une petite enseigne discrète placée perpendiculairement, à l'ancienne.
Je l'en remercie, au nom des amoureux du patrimoine.
En s'approchant, on voit que cette maison présente des bois sculptés d'une grande richesse. Les trois têtes n'ont pas l'air particulièrement réjouies, une facétie du charpentier pour rappeler le poids des étages, ou une commande particulière du propriétaire, qui sait ? Belle initiative en tous cas.

Et si vous voulez aller la voir de plus près encore, elle se trouve au 34 de la rue Thiers, à Bernay, dans le département de l'Eure.

Petites histoires d'Ailly


la plage du petit Ailly, en direction de l'Ouest. On voit, au loin, les roches de l'Ailly, qui sont émergées à marée basse, et sur la gauche, la terre tombée de la falaise, dans son éboulement permanent.


 Vue de la plage de galets, la falaise, qui porte, en haut, la plaie d'un effondrement récent qui a marqué le trajet de sa descente jusqu'en bas.


Pour la dernière photo, prise de plus loin vers la mer, vue sur le cap d'Ailly.

Le phare n'est pas visible de jour, en retrait. Le premier est tombé de la falaise en 1968. On aperçoit l'église Saint Valery de Varengeville, dont le cimetière a fait l'objet de travaux importants pour l'empêcher de s'effondrer.

Je me souviens être allée un jour près d'une maison à cet endroit. Les propriétaires devaient l'abandonner car le terrain, tout au bord de ces falaises menaçait de s'écrouler.

Cette maison m'avait plu et j'ai récemment eu l'idée de vérifier si elle était encore là sur Google Earth.
Et bien non, mais ce n'est pas parce qu'elle est tombée, c'est parce qu'elle a été démontée et reculée de 180 mètres.
Je me demande si cette solution a été envisagée pour l'église et son cimetière marin, eux aussi promis à la lutte contre la nature. Je n'ai pas la réponse. A suivre donc.

Foucarmont

Foucarmont est une petite ville d'un peu plus de mille habitants située dans le département de la Seine-Maritime. Nous somme là près de Blangy-sur-Bresle et pas très loin de Dieppe. La mer n'est pas loin.

Ce qui frappe le regard en premier, c'est le clocher de l'église et, il faut bien le dire, il est particulièrement déconcertant. La croix signale que c'est un édifice religieux, mais j'ai d'abord cru qu'il s'agissait de la tour d'une caserne de pompiers. Tout le monde peut se tromper.

Ce bâtiment, occupé par l'église catholique, a été achevé en 1963, c'est l'œuvre de l'architecte Otello Zavaroni.

Le bloc de béton au toit bombé qui ressemble à un blockhaus abrite le chœur et on voit un bout de la nef qui est parallélépipédique.
Ce style extrêmement sobre a, parait-il, été volontairement choisi par l'architecte qui voulait cette église très dépouillée, comme une réminiscence de la guerre.
Les photos qui suivent confirment l'austérité de l'ensemble, église, mairie et salle des fêtes.







Les deux dernières photos mettent en avant l'arrondi du toit, un style inauguré par Le Corbusier.

Cette église moderne remplace l'ancienne église saint Martin, détruite le dimanche 13 février 1944 par une formation de 17 avions B17 de l'US Air Force qui ont lâché des tonnes de bombes sur le centre de cette petite ville sans intérêt stratégique.

J'y ai rencontré deux paroissiennes qui ont vécu le bombardement étant adolescentes. Elles se souviennent bien de la stupeur qui a saisi les habitants devant les ruines. De l'église, des halles, des commerces, de l'école de garçons, de la poste et des nombreuses habitations du centre ville, il ne restait plus rien que des décombres. Vingt et une personnes, toutes civiles, ont péri ce jour là. Victimes de guerre, elles ont leur nom sur le monument aux morts de la commune.
Eglise saint Martin, 16ème siècle, et les halles.
 Ce raid contre les Foucarmontais est resté sans explications.
Certains ont émis l'hypothèse que des rampes de V1 situées à une vingtaine de kilomètres, en forêt auraient pu être l'objectif initial. Ce serait vraiment prendre les pilotes des forteresses volantes pour des bleus. Même de très haut, je suis certaine qu'on peut faire la différence entre une église et une forêt. D'ailleurs, mes deux sympathiques interlocutrices n'y croient pas non plus. Elles doutent avoir un jour une explication plausible et je ne leur ai pas fait part de ce que je pense réellement des pseudo-libérateurs de la Normandie.


On n'a vraiment pas envie d'entrer et c'est un tort car tout est là. Un mur de vitrail coloré illumine l'intérieur et contraste avec la sévérité du lieu, et d'autres fenêtres de taille plus modeste mais tout aussi rayonnantes parsèment les autres murs.
Il faisait gris et c'était déjà magnifique. J'imagine que lorsque le soleil est au rendez-vous, c'est encore plus beau. En voici un aperçu :



Je suis restée enchantée par cette visite, malgré une première impression négative et je me plais à imaginer que ce contraste est voulu. Il me reste à deviner pourquoi l'entrée parait être celle d'un local à poubelles.
Krn.


Le plus vieux chêne normand, Allouville-Bellefosse

La légende aurait voulu qu'il soit né en même temps que la Normandie et qu'il ait fêté en 2011 ses mille cent ans. C'est romanesque, mais ce n'est pas vrai. De même qu'on aurait voulu que Guillaume s'y arrête en partant pour l'Angleterre. Dommage, ce n'était pas son chemin. Il en a vu des Normands, c'est sûr. Il les a même vu débarquer de leurs drakkars, nom impropre pour désigner les embarcations des Vikings, mais si je commence à changer tous les mots, les Français, qui, en outre ont appris à l'école que les hommes du Nord étaient des barbares sanguinaires et cruels qui n'avaient peur de rien risquent d'être perdus.
Ce chêne est né il y a plus de 13 siècles. C'est à dire qu'il était déjà imposant (et centenaire) lorsque Charlemagne est devenu empereur et même s'il donne des signes de vieillissement, il se porte quand même bien mieux que lui.


Alors, bien sûr, comme les personnes âgées, le chêne d'Allouville-Bellefosse a besoin de ses cannes. Etayé et haubanné, il est en outre pourvu d'une armature intérieure métallique qui l'empêche de s'affaisser.
On peut la voir en levant les yeux lorsqu'on se trouve dans la chapelle du haut. C'est impressionnant et ça fait penser à l'acharnement thérapeutique dont la médecine abuse parfois sur des gens qui ne souhaitent peut-être plus vivre une vie de souffrance et de solitude.
Je me suis souvent demandée ce que les arbres ressentaient. Ils transmettent une énergie si calme et si équilibrée, une sorte de sagesse contagieuse qui vous entoure si vous restez un peu sous leur ramure, qu'on ne peut pas penser autrement que ces êtres pacifiques vous donnent de l'amour. Celui-là est l'objet de beaucoup d'attention de la part des habitants de la commune, mais les forêts normandes abritent bien des sujets qui pourront devenir des maîtres si on leur laisse le temps de vivre.

Je voudrais mettre l'accent sur les tuiles de bois utilisées pour protéger le tronc du chêne.  Le bois peut travailler à la traction, à la flexion et à la compression. Son faible poids permet une mise en œuvre facile et pour travailler en hauteur, les tuiles de bois sont portées par un seul homme.
Cette technique a été utilisée lors de la restauration de l'église abbatiale de Bernay, dans l'Eure, ce qui en fait une cousine des stavkirker norvégiennes, églises millénaires en bois, également recouvertes de tuiles de bois.
Des pièces sont régulièrement ajoutées pour éviter aux intempéries de remplacer par endroits l'écorce du chêne rendue fragile par l'âge. On en voit un "patch" sur la photo ci-contre.
Cette photo montre en fait l'entrée de la chapelle du bas, dite de Notre-Dame de la Paix. On voit qu'il ne faut pas être trop gros pour y entrer.

Voici l'intérieur de la chapelle, enfin, ce qu'on en voit sur le pas de la porte. J'ai été un peu étonnée d'apprendre que le père Du Cerceau a réussi à y faire entrer quarante enfants. J'en aurais mis une douzaine, sans trop les tasser.
On y voit une statue de la vierge, en céramique, l'original de celle en bois dorée à l'or fin offerte par l'impératrice Eugènie, épouse de Napoléon III ayant été mise à l'abri des convoitises.

Le chêne d'Allouville-Bellefosse est connu bien au-delà de la Normandie et même de la France et des rois étrangers viennent le visiter. Des messes sont dites dans la chapelle.

L'escalier monte à une seconde pièce, aménagée au dessus et utilisée par le jésuite Jean-Antoine Du Cerceau comme lieu de retraite. Il y avait son lit, ainsi qu'une chaise et une table pour ses études.

Lorsque le père Du Cerceau s'en fut, on transforma la chambre de l'Ermite en chapelle du Calvaire. D'ailleurs, la seule décoration, sur le lambris, est un Christ en croix.
Bien que l'ouverture ait été plus large que celle de la chapelle du rez de chaussée, je n'ai pas eu envie d'y entrer et j'ai regretté que cet arbre n'ait pas célébré  plutôt la vie que la mort d'un dieu.

Ci-dessous, une carte postale du début du siècle dernier montre le chêne ceint de sa balustrade. Elle a été retirée en 1998, en même temps que l'escalier qui fut restauré. Le tout tombait en ruine.


Enfin, la dernière photo que je propose montre le chêne vu du nord. Il est facile de constater que de nombreuses branches sont mortes. La cime elle même a du être protégée, l'arbre ayant été frappé par la foudre.
Le chêne d'Allouville-Bellefosse est un rescapé. Des trois arbres majestueux qui existaient sur la place à la révolution, il est le seul à n'avoir pas été incendié par des révolutionnaires un peu énervés qui s'en sont pris en premier lieu au presbytère, puis à une épine noire sous les branches de laquelle on pouvait dresser une table de seize convives. L'autre victime fut un hêtre d'une superbe envergure, plusieurs fois centenaire, dont les branches retombaient sur le sol, formant une voûte ombragée couvrant ceux qui s'y étaient installés à presque une vingtaine. Ces arbres étaient sans doute aussi vieux que notre chêne. Les abus de la révolution se voient sur bien des façades, ils ont aussi fait des ravages sur les vivants et les nombreuses décapitations qui ont eu lieu pendant cette période ont ensanglanté le sol français. Le chêne doit d'avoir été épargné à la présence d'esprit d'un clerc qui apposa au dessus de l'entrée de la chapelle un écriteau indiquant "Temple de la raison".

Le défaut qu'on peut constater à gauche de la photo est dû à "l'accident" de disque dur que j'ai eu à déplorer récemment. C'est un moindre mal. Je ne la publie que pour montrer que la végétation n'existe plus que d'un seul côté du chêne.
Souhaitons-lui néanmoins encore de belles années de vie, car, vous savez quoi ? Le chêne d'Allouville-Bellefosse produit encore des glands.