Le plus vieux chêne normand, Allouville-Bellefosse

La légende aurait voulu qu'il soit né en même temps que la Normandie et qu'il ait fêté en 2011 ses mille cent ans. C'est romanesque, mais ce n'est pas vrai. De même qu'on aurait voulu que Guillaume s'y arrête en partant pour l'Angleterre. Dommage, ce n'était pas son chemin. Il en a vu des Normands, c'est sûr. Il les a même vu débarquer de leurs drakkars, nom impropre pour désigner les embarcations des Vikings, mais si je commence à changer tous les mots, les Français, qui, en outre ont appris à l'école que les hommes du Nord étaient des barbares sanguinaires et cruels qui n'avaient peur de rien risquent d'être perdus.
Ce chêne est né il y a plus de 13 siècles. C'est à dire qu'il était déjà imposant (et centenaire) lorsque Charlemagne est devenu empereur et même s'il donne des signes de vieillissement, il se porte quand même bien mieux que lui.


Alors, bien sûr, comme les personnes âgées, le chêne d'Allouville-Bellefosse a besoin de ses cannes. Etayé et haubanné, il est en outre pourvu d'une armature intérieure métallique qui l'empêche de s'affaisser.
On peut la voir en levant les yeux lorsqu'on se trouve dans la chapelle du haut. C'est impressionnant et ça fait penser à l'acharnement thérapeutique dont la médecine abuse parfois sur des gens qui ne souhaitent peut-être plus vivre une vie de souffrance et de solitude.
Je me suis souvent demandée ce que les arbres ressentaient. Ils transmettent une énergie si calme et si équilibrée, une sorte de sagesse contagieuse qui vous entoure si vous restez un peu sous leur ramure, qu'on ne peut pas penser autrement que ces êtres pacifiques vous donnent de l'amour. Celui-là est l'objet de beaucoup d'attention de la part des habitants de la commune, mais les forêts normandes abritent bien des sujets qui pourront devenir des maîtres si on leur laisse le temps de vivre.

Je voudrais mettre l'accent sur les tuiles de bois utilisées pour protéger le tronc du chêne.  Le bois peut travailler à la traction, à la flexion et à la compression. Son faible poids permet une mise en œuvre facile et pour travailler en hauteur, les tuiles de bois sont portées par un seul homme.
Cette technique a été utilisée lors de la restauration de l'église abbatiale de Bernay, dans l'Eure, ce qui en fait une cousine des stavkirker norvégiennes, églises millénaires en bois, également recouvertes de tuiles de bois.
Des pièces sont régulièrement ajoutées pour éviter aux intempéries de remplacer par endroits l'écorce du chêne rendue fragile par l'âge. On en voit un "patch" sur la photo ci-contre.
Cette photo montre en fait l'entrée de la chapelle du bas, dite de Notre-Dame de la Paix. On voit qu'il ne faut pas être trop gros pour y entrer.

Voici l'intérieur de la chapelle, enfin, ce qu'on en voit sur le pas de la porte. J'ai été un peu étonnée d'apprendre que le père Du Cerceau a réussi à y faire entrer quarante enfants. J'en aurais mis une douzaine, sans trop les tasser.
On y voit une statue de la vierge, en céramique, l'original de celle en bois dorée à l'or fin offerte par l'impératrice Eugènie, épouse de Napoléon III ayant été mise à l'abri des convoitises.

Le chêne d'Allouville-Bellefosse est connu bien au-delà de la Normandie et même de la France et des rois étrangers viennent le visiter. Des messes sont dites dans la chapelle.

L'escalier monte à une seconde pièce, aménagée au dessus et utilisée par le jésuite Jean-Antoine Du Cerceau comme lieu de retraite. Il y avait son lit, ainsi qu'une chaise et une table pour ses études.

Lorsque le père Du Cerceau s'en fut, on transforma la chambre de l'Ermite en chapelle du Calvaire. D'ailleurs, la seule décoration, sur le lambris, est un Christ en croix.
Bien que l'ouverture ait été plus large que celle de la chapelle du rez de chaussée, je n'ai pas eu envie d'y entrer et j'ai regretté que cet arbre n'ait pas célébré  plutôt la vie que la mort d'un dieu.

Ci-dessous, une carte postale du début du siècle dernier montre le chêne ceint de sa balustrade. Elle a été retirée en 1998, en même temps que l'escalier qui fut restauré. Le tout tombait en ruine.


Enfin, la dernière photo que je propose montre le chêne vu du nord. Il est facile de constater que de nombreuses branches sont mortes. La cime elle même a du être protégée, l'arbre ayant été frappé par la foudre.
Le chêne d'Allouville-Bellefosse est un rescapé. Des trois arbres majestueux qui existaient sur la place à la révolution, il est le seul à n'avoir pas été incendié par des révolutionnaires un peu énervés qui s'en sont pris en premier lieu au presbytère, puis à une épine noire sous les branches de laquelle on pouvait dresser une table de seize convives. L'autre victime fut un hêtre d'une superbe envergure, plusieurs fois centenaire, dont les branches retombaient sur le sol, formant une voûte ombragée couvrant ceux qui s'y étaient installés à presque une vingtaine. Ces arbres étaient sans doute aussi vieux que notre chêne. Les abus de la révolution se voient sur bien des façades, ils ont aussi fait des ravages sur les vivants et les nombreuses décapitations qui ont eu lieu pendant cette période ont ensanglanté le sol français. Le chêne doit d'avoir été épargné à la présence d'esprit d'un clerc qui apposa au dessus de l'entrée de la chapelle un écriteau indiquant "Temple de la raison".

Le défaut qu'on peut constater à gauche de la photo est dû à "l'accident" de disque dur que j'ai eu à déplorer récemment. C'est un moindre mal. Je ne la publie que pour montrer que la végétation n'existe plus que d'un seul côté du chêne.
Souhaitons-lui néanmoins encore de belles années de vie, car, vous savez quoi ? Le chêne d'Allouville-Bellefosse produit encore des glands.

Beaumesnil, le jardin

Les 24 et 25 septembre 2011 s'est déroulé à Beaumesnil, dans l'Eure, le festival des 1001 légumes.

Plus qu'un festival à proprement parler, il s'agissait de faire découvrir au public le potager conservatoire dans lequel l'association 1001 légumes cultive certaines espèces rares dans le but de sauvegarder la diversité biologique.
Il y avait une petite allée où quelques artisans locaux présentaient leurs produits et j'en ai goûté certains, des conférences et un spectacle pour les enfants, mais ce sera l'objet d'un autre article, car je préfère vous parler de ce jardin d'abord.

Le jardin conservatoire de Beaumesnil est situé sur le côté du château, dont on voit les toits dans le fond en parcourant les allées.


Le choix qui a été fait est le jardin en carrés. Le principe du potager en carrés, c'est de cultiver plusieurs espèces sur une surface réduite. Ici, des rectangles ont été séparés en six cases distinctes comportant chacune une variété différente. Les carrés sont un peu surélevés par rapport au sol où on circule et délimités par des cloisons en bois.

Ouvert depuis à peu près trois ans,le potager conservatoire de Beaumesnil abrite plusieurs centaines d'espèces de légumes différents. Lorsque nous regardons les pauvres rayons de nos supermarchés, il est évident que ceux qui ne se pourvoient que dans ces endroits manquent quelque chose.
Pas de variétés hybrides conçues pour résister aux maladies mais ne peuvent pas être reproduites dans ce jardin, mais des légumes qui produisent des semences qu'on peut utiliser les années suivantes. Ce jardin est dans l'esprit des jardiniers traditionnels.


En parcourant ces allées, on redécouvre ce que nos grand-pères cultivaient. Les deux miens avaient de fort beau potagers et vergers et je regrette vraiment que mes parents dans leur désir de se simplifier la vie aient renoncé à cette richesse et vendu ces endroits.


Lorsqu'en plus de les voir, on veut manger ces légumes produits près de chez soi sans pesticides, parallèlement au conservatoire, un abonnement annuel à des paniers hebdomadaires a été organisé pour les habitants du pays de Risle-Charentonne, comportant des légumes cultivés dans le respect de la nature au même endroit.
Renseignements pratiques sur 1001 légumes, ici.

Treize Saints

Un dimanche où je me serais ennuyée à la maison, j'ai décidé d'aller dans le département voisin, l'Orne. J'avais projetée cette visite depuis quelques temps et j'étais curieuse de l'endroit puisqu'il s'agit d'un lieu fréquenté par mes ancêtres normands. L'un d'entre eux y est même né.

Treize Saints. On pourrait se demander qui sont ces treize saints dont aucun n'a laissé son nom à l'église du lieu, consacrée à Notre Dame. En consultant les Archives Départementales de l'Orne, on remarque plusieurs façons de l'écrire, dont Tiersaint et Treze Saints. Par contre, la mention, en 1454 par les clercs de l'église de Sées, de "Tredecim Sanctis" tient sans doute plus du calembour que de la vérité. Ils avaient de même traduit Sannois par Centum Nuces...

Ce qu'on voit en premier lieu en arrivant à Treize-Saints, c'est le viaduc de la voie ferrée. Difficile de le manquer, il enjambe tout le village et je ne vous le montre pas. Ce qu'on voit le moins, en revanche, c'est cette chapelle, cachée sous les arbres, à l'emplacement où se trouvait jadis l'église Notre Dame, livrée à la pioche des démolisseurs à la fin du 19ème siècle, comme beaucoup d'autres jugées inutiles.
 


Il faut dire que Treize saints n'était pas très peuplé. Au moment de la naissance de mon ancêtre en 1812, le nombre d'habitants était de 75.

Ce calvaire était-il déjà à un carrefour ou bien s'agissait il de la croix monumentale du cimetière qui entourait Notre Dame ?
Les travaux du viaduc ont du chambouler tout le paysage de cette petite commune devenu depuis 1822 un hameau de Batilly, mais la croix a été épargnée.
Je n'ai pas pu consulter le cadastre, indisponible, et les anciennes cartes ne donnent pas suffisamment de détails.
Au temps de la féodalité, Treize Saints était un tiers de fief de chevalier. La seigneurie se composait d'un manoir, d'une ancienne motte, d'une prison, d'un colombier, de jardins, d'un moulin à blé, d'un étang, de pêcheries, prairies et terres labourables, de bois, bruyères communes et garennes, rentes en grains, oeufs, oiseaux, corvées et services.
Des bâtiments, il reste une aile du manoir, qui est une résidence privée et une partie du mur d'enceinte et de la porte du domaine.
En 1701, Treize-Saints avait le privilège d'avoir son maître d'école, ce qui était exceptionnel et il y avait 84 communiants, mais en 1708, il avait disparu et c'est le curé qui se chargeait de l'instruction des enfants.
Madame de Tilly, dernière héritière de la terre de Treize Saints est morte le 27 vendémiaire de l'an 9 sans avoir eu d'enfants. Parmi ceux qui étaient sur son testament, des cousins, mais aussi ses domestiques, proportionnellement au temps qu'ils avaient passé à son service. Jacques Quandieu, le jardinier, a ainsi pu acquérir 12 ares à proximité du logis de Treize Saints. En 1810, le manoir fut vendu et seule une aile fut conservée. De même, l'avenue fut abattue et le parterre transformé en herbage. Mais revenons à notre chapelle.


Construite par les habitants, révoltés de la destruction de leur église, on peut y voir une statue de la Vierge polychrome, ainsi que  Saint Joseph et une femme en armure entouré du drapeau bleu à fleurs de lys qui représente probablement Jeanne d'Arc.
La chapelle est toujours entretenue par des bénévoles et fleurie.
La fresque sous l'autel représente l'histoire de Sainte Barbe, et c'est ce qui m'intrigue le plus.

Barbe est née païenne, en Turquie, à un endroit qu'on pourrait situer proche d'Izmit, mais les avis divergent sur ce point autant que sur la date, habituellement située autour du 3ème siècle. Elle était si belle que son père, Dioscore, l'enfermait dans une tour pour la protéger des regards. Il lui trouva un mari, qu'elle refusa, voulant vivre une vie de perfection. Il partit en voyage et s'affaira à lui trouver un autre parti, mais elle refusa une seconde fois et se déclara chrétienne, disant que son désir était une union mystique avec Dieu. L'histoire étant venue aux oreilles du préfet Martinianus, elle fut condamnée à être décapitée.

A la suite de son supplice, son père fut frappé par un éclair et réduit en cendres. De la à y voir la raison pour laquelle Sainte Barbe est invoquée contre la foudre, il n'y a qu'un pas. En 1529, elle devient la patronne des artilleurs et au fur et à mesure des évolutions, celle des pompiers, des mineurs et des carriers.
La légende de Sainte Barbe, inspirée de celle de Danaé, a introduit dans cette religion la virginité comme condition de la participation des femmes au culte.

La question que je me pose encore au sujet de cette chapelle est la suivante, qu'est ce qui a bien pu motiver le choix de Sainte Barbe par les habitants de Treize Saints ?

Généalogie normande


Pas de tableaux avec des ascendances et des alliances, je fais déjà ça sur un autre site dont c'est le seul but. Ici, je me promène.
J'aime aller sur les lieux où j'ai trouvé mes aïeux, prendre des photos, imaginer qu'ils ont marché avant moi dans ces chemins et penser à chacun d'eux, tour à tour, selon les endroits que je visite.
Ils ont vécu là où je passe et je leur dédie ces instants.

En fait, à l'exception du département dans lequel je vis, j'ai des ancêtres dans tous les autres départements normands.
L'intérêt de la généalogie, c'est de s'apercevoir que l'on n'est pas ce que l'on croyait. Ça permet de développer une tolérance exceptionnelle à l'égard des autres.

J'ai dit haut et fort que je n'étais pas normande avant de découvrir qu'un "Parisien" marié à Pontoise pouvait être né dans l'Orne et avoir au dessus de lui toute une lignée de Normands, dont les premiers ont débarqué... en même temps que Rollon.

Barquet fleuri

Je vous ai déjà montré cette route en automne. La voici au printemps. Nous sommes en avril et les feuilles apparaissent sur les arbres. Ils n'en ont pas encore tous, mais on les sent déjà bien verts, prêts pour une nouvelle saison.

Des biches, des chevreuils, des sangliers et des grenouilles traversent régulièrement ici et je suis toujours prudente car n'importe lequel peut arriver tout courant (pas les grenouilles, évidemment), dissimulé par les arbres et c'est toujours stressant.
Les grenouilles sont souvent deux. L'une faisant diversion, l'autre essayant de barrer la route. Parfois plus. Le plus sage est de s'arrêter et d'attendre qu'elles aient fini leur numéro. Il m'est même arrivé de descendre pour les faire traverser.

En sortant du bois de la Vacherie, on devine une éclaircie. Le jaune éclatant entre les arbres trahit la présence d'un champs de colza. Il est en fleurs partout dans l'Eure. Il a peu à peu remplacé les betteraves depuis la fermeture de l'usine de la Générale Sucrière à Nassandre. La rotation des bennes remplies à ras bord aurait coûté trop cher pour emmener les betteraves jusqu'en Seine Maritime. Je ne me plains pas du changement. Non seulement les routes sont plus propres, on ne risque plus d'être bloqué par un convoi de betteraviers, mais en plus, c'est joli.


Le champs est très grand, même si je n'en montre qu'un petit bout. Là, le temps était clair, mais lorsque la pluie menace, le contraste est saisissant. Nous ne sommes pas loin de la Risle, dans le pays d'Ouche, entre Le Neubourg et La Ferrière sur Risle.

Sénéchal de Normandie

Le document que vous allez découvrir ci-dessous est la copie d'une charte signée au château de Falaise, en Normandie, par Raoul Tesson, sieur de Lonlay, fils de Jourdain Tesson.



Par cette charte, Raoul Tesson, qui se nomme lui même Raoul de Lonlay (Radulphus de Lonleio) ratifie une donation faite par Gervais de Lonlay, prêtre, et Guillaume Lamire, de la moitié de la dîme entière de tout son fief de Lonlay, tenu de ses ancêtres, en présence de Jean Mansel, Roger de Fontenay, G.Pointel, Richard le Veneur, Gautier, abbé de Falaise, Robert de Quesnay et de plusieurs autres.
Raoul était généreux. Les richesses de la famille Tesson étaient si grandes qu'on disait de son vivant que sur trois hectares normands, deux lui appartenaient.

En 1188, il fonde le prieuré de la Colombe, dans la Manche. En 1190, il siège à l'échiquier de Normandie et fait partie de l'entourage de Richard Coeur de Lion. En 1201, il est nommé sénéchal de Normandie par Jean sans Terre, héritier du trône d'Angleterre.

En 1204, il se range aux côtés de Philippe Auguste, roi de France. Le 13 novembre 1205, il est à Rouen pour faire état des relations entre le clergé et les Plantagenêts. Jean sans Terre ne lui pardonne pas son choix et lui confisque tous ses biens en Angleterre.

Peu lui importe, il en a suffisamment en Normandie et continue à distribuer ses revenus.

Il meurt au début de l'an 1214, laissant à ses trois filles, Pernelle, Jeanne et Mathilde, l'administration de ses biens, son fils, Guillaume, étant mort sans héritiers avant lui.


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