Un dimanche où je me serais ennuyée à la maison, j'ai décidé d'aller dans le département voisin, l'Orne. J'avais projetée cette visite depuis quelques temps et j'étais curieuse de l'endroit puisqu'il s'agit d'un lieu fréquenté par mes ancêtres normands. L'un d'entre eux y est même né.
Treize Saints. On pourrait se demander qui sont ces treize saints dont aucun n'a laissé son nom à l'église du lieu, consacrée à Notre Dame. En consultant les Archives Départementales de l'Orne, on remarque plusieurs façons de l'écrire, dont Tiersaint et Treze Saints. Par contre, la mention, en 1454 par les clercs de l'église de Sées, de "Tredecim Sanctis" tient sans doute plus du calembour que de la vérité. Ils avaient de même traduit Sannois par Centum Nuces...
Ce qu'on voit en premier lieu en arrivant à Treize-Saints, c'est le viaduc de la voie ferrée. Difficile de le manquer, il enjambe tout le village et je ne vous le montre pas. Ce qu'on voit le moins, en revanche, c'est cette chapelle, cachée sous les arbres, à l'emplacement où se trouvait jadis l'église Notre Dame, livrée à la pioche des démolisseurs à la fin du 19ème siècle, comme beaucoup d'autres jugées inutiles.
Il faut dire que Treize saints n'était pas très peuplé. Au moment de la naissance de mon ancêtre en 1812, le nombre d'habitants était de 75.
Ce calvaire était-il déjà à un carrefour ou bien s'agissait il de la croix monumentale du cimetière qui entourait Notre Dame ?
Les travaux du viaduc ont du chambouler tout le paysage de cette petite commune devenu depuis 1822 un hameau de Batilly, mais la croix a été épargnée.
Je n'ai pas pu consulter le cadastre, indisponible, et les anciennes cartes ne donnent pas suffisamment de détails.
Au temps de la féodalité, Treize Saints était un tiers de fief de chevalier. La seigneurie se composait d'un manoir, d'une ancienne motte, d'une prison, d'un colombier, de jardins, d'un moulin à blé, d'un étang, de pêcheries, prairies et terres labourables, de bois, bruyères communes et garennes, rentes en grains, oeufs, oiseaux, corvées et services.
Des bâtiments, il reste une aile du manoir, qui est une résidence privée et une partie du mur d'enceinte et de la porte du domaine.
En 1701, Treize-Saints avait le privilège d'avoir son maître d'école, ce qui était exceptionnel et il y avait 84 communiants, mais en 1708, il avait disparu et c'est le curé qui se chargeait de l'instruction des enfants.
Madame de Tilly, dernière héritière de la terre de Treize Saints est morte le 27 vendémiaire de l'an 9 sans avoir eu d'enfants. Parmi ceux qui étaient sur son testament, des cousins, mais aussi ses domestiques, proportionnellement au temps qu'ils avaient passé à son service. Jacques Quandieu, le jardinier, a ainsi pu acquérir 12 ares à proximité du logis de Treize Saints. En 1810, le manoir fut vendu et seule une aile fut conservée. De même, l'avenue fut abattue et le parterre transformé en herbage. Mais revenons à notre chapelle.
Construite par les habitants, révoltés de la destruction de leur église, on peut y voir une statue de la Vierge polychrome, ainsi que Saint Joseph et une femme en armure entouré du drapeau bleu à fleurs de lys qui représente probablement Jeanne d'Arc.
La chapelle est toujours entretenue par des bénévoles et fleurie.
La fresque sous l'autel représente l'histoire de Sainte Barbe, et c'est ce qui m'intrigue le plus.
Barbe est née païenne, en Turquie, à un endroit qu'on pourrait situer proche d'Izmit, mais les avis divergent sur ce point autant que sur la date, habituellement située autour du 3ème siècle. Elle était si belle que son père, Dioscore, l'enfermait dans une tour pour la protéger des regards. Il lui trouva un mari, qu'elle refusa, voulant vivre une vie de perfection. Il partit en voyage et s'affaira à lui trouver un autre parti, mais elle refusa une seconde fois et se déclara chrétienne, disant que son désir était une union mystique avec Dieu. L'histoire étant venue aux oreilles du préfet Martinianus, elle fut condamnée à être décapitée.
A la suite de son supplice, son père fut frappé par un éclair et réduit en cendres. De la à y voir la raison pour laquelle Sainte Barbe est invoquée contre la foudre, il n'y a qu'un pas. En 1529, elle devient la patronne des artilleurs et au fur et à mesure des évolutions, celle des pompiers, des mineurs et des carriers.
La légende de Sainte Barbe, inspirée de celle de Danaé, a introduit dans cette religion la virginité comme condition de la participation des femmes au culte.
La question que je me pose encore au sujet de cette chapelle est la suivante, qu'est ce qui a bien pu motiver le choix de Sainte Barbe par les habitants de Treize Saints ?